Les coulisses de la grande distribution : l'envers du décor d'un hyper

Source : francetvinfo.fr
Source : francetvinfo.fr

Je sors du contexte geeky des précédents articles pour vous raconter mes impressions sur une activité professionnelle et un monde qui fait partie intégrante de ma vie : les grands magasins et plus particulièrement la grande distribution alimentaire !

Vous allez me dire "mais kesski me raconte là ? J'en ai rien à foutre de la guerre des prix et des têtes de gondoles ! Moi je fais mes courses au marché bio et l'épicier du coin" .

 

Je vous répondrai : mon c**! Tout le monde met régulièrement ou a déjà de mis les pieds dans un hypermarché. Derrière ces énormes allées au carrelage blanc cassé contenant 36 types différents du même produit se cachent un système logistique parfaitement huilé répondant à une promesse simple : dès 8h, vous trouverez votre pot de yaourt préféré bien présent en rayon et ce 365 jours par an. Immersion dans cette fourmilière de braves employés libre service soumis au diktat du "client est roi" !

GEGE! VIENS ME DEGERBER LA PALETTE DE PQ AVEC TON CLARK!

Un hypermarché, c'est avant tout une aventure humaine qui voit se croiser quotidiennement deux équipes en compétition permanente : l'équipe de jour et l'équipe de nuit. L'équipe de nuit est chargée, dès 3 h ou 4h du matin, de remplir les rayons de produits afin de garantir un magasin propre et bien fourni dès 8h aux petits vieux exigeants à l'haleine de phoque levés bien trop tôt.

On croise alors au beau milieu de la nuit une équipe principalement composée de costauds gaillards aux yeux cernés déboulant dans leurs rayons attitrés, tire-palette manuel ou Fenwick électrique à la main. En guise de fond sonore, Fun radio ou RTL 2, tout dépend de l'humeur du gars de la sécurité bedonnant trônant dans sa tour de contrôle.

 

"Putain, ce connard de l'après-midi a encore oublié de mettre le Fenwick en charge hier soir, j'ai que deux bâtons de batterie, fait chier ! " se plaint Didier G., employé libre-service au rayon conserves de légumes.

Il a bien des raisons d'être vénère le Didier, cela fait 26 ans qu'il remplit les rayons de conserves Bonduelles, D'aucy et Cassegrain ("pour les mamies celles-là", dit-il toujours). Il est rodé comme un vieux moteur diesel et la moindre perturbation dans son timing le fout en rage ! Le dos en compote, les mains larges mais usées et les pieds bosselés à causes des chaussures de sécurité jamais confortables (comme si le progrès technique n'avait jamais mis les pieds dans cette catégorie vestimentaire), Didier est néanmoins un employé fiable et fidèle qui gardera toujours son pull rouge de la collection 2006 "parce qu'ils sont bons ceux-là, pas comme les nouveaux polos verts de pd".

 

Toujours prêt à dégainer un vanne graveleuse et à traiter tout le monde de " tarlouze" en salle de pause, Didier a connu les années folles de la grande distribution pendant lesquelles "l'ambiance était plus cool, les chefs plus sympa et sur le terrain". "Ils venaient remplir les rayons avec toi, et en plus les primes étaient bien plus fortes ! On faisait même des parties de bowling avec les grosses canettes ! Maintenant c'est plus pareil..."

 

Le travail en équipe de nuit est assez sportif. Suivant les rayons, la cadence de travail peut être forte mais surtout pour tout le monde, super répétitive. C'est la même histoire tous les matins. Les mêmes canettes, les memes odeurs, la même musique... "Ca ramollit le cerveau" explique Didier. Les mecs du matin sont des gars qui travaillent plutôt en solo, aiment le travail bien fait (réserve bien rangée, rayons pleins, bien ordonnés) mais surtout si ils travaillent la nuit, c'est pour éviter le conseil client !

LES MECS DE L'APREM

Conseiller le client justement, c'est une bonne partie du boulot de l'équipe de l'après-midi. L'après-midi, on rencontre un autre profil de gars. Plus détendus, plus souriants, moins baraqués, l'équipe de l'après-midi se veut au service du consommateur tout en remplissant les rayons pour éviter les ruptures (terme utilisé pour signifier l'absence d'un produit en rayon).

L'après-midi, on slalome avec son tire-pal entre les caddies, on mate les petits culs des clientes, on crispe la mâchoire devant les nombreux consommateurs odieux.

 

"C'est où le pain ?" demande froidement cette dame énorme au caddie rempli.

 

"C'est à côté des liquides au fond à droite" répond-je tout aussi glacial sans même détourner mon regard de ma tâche.

 

"Ca a encore changé ?" répond-elle visiblement irritée.

 

"Ah non, madame, la boulangerie n'a jamais bougé, parce que derrière, y'a un vrai atelier inamovible avec des fours et des ..."

 

La voilà déjà partie en grognant, et toujours intimement convaincue que le magasin a changé l'emplacement du rayon boulangerie "tout ca pour ma faire marcher dans tout le magasin pour me faire acheter plus".

 

Les mecs de l'aprem subissent davantage la pression des clients et des chefs qui veulent absolument "faire le chiffre". On les aime bien aussi :)

 

Vers 11h, c'est le chassé-croisé. Les gars du matin remballent les tires-pal (c'est juste pour la rime celle-là), et prennent la sortie tout sourire. C'est le moment grandiose durant lequel ils prennent un malin plaisir à traverser tout le magasin direction le parking employé. Caché sous la veste, le logo du magasin n'est plus visible des clients. Quel plaisir de les voir agacés, vainement chercher le produit en promo sur le tract. "Rien n'a foutre, ils se débrouillent , moi j'ai fini" déclare Didier. "Y'a bien un gars de l'après-midi qui va les aider". 

A PROPOS DES SACRO-SAINTS CLIENTS

Il y a matière à créer un bouquin de mille pages sur les clients en grande distribution. Entre personnages odieux, familles de 12 enfants qui gueulent, groupe de casseurs, voleurs en tous genre...on se dit que ce melting pot est le parfait reflet de notre société. Rien que pour vous, quelques profils de clients typiques.

 

Les voleurs des surfaces

Y'a pas à dire, certains maîtrisent des petites techniques mesquines pour gagner 0,78ct sur le ticket de caisse. Ex : placer des oeufs bio fermiers (donc plus chers) dans un emballage d'oeufs premier prix ! Bas oui, c'est bien meilleur des oeufs bio. Avec cette technique, on économise peut-être 10€ par an. Ca vaut le coup ma petite dame !

 

Le décolleur d'étiquettes

Une étiquette déglinguée "-50% rayon frais" sur une boîte de jeux vidéo. Ca passe en caisse ? Je crois pas. Il suffit de voir la tronche du mec tout faussement surpris qui dit "bah je savais pas c'était comme ça en rayon, ah bah nan je le prends pas c'est trop cher".

 

Le vieux qui a tout le temps du monde

Prêt à 7h 48, devant la grille du magasin fermé, il fait son petit tour quotidien tracé au millimètre faisant semblant d'être intéressé par ceci, ou cela. Il bavarde volontiers avec la fille du rayon charcuterie qui tous les jours lui coupe "très fines sivouplé" ses 4 tranches de salami "3 pour moi, et une pour mon clebs !". Pas bien méchant, il peut juste devenir relou si t'as pas son produit fétiche en rayon ou si la baguette du jour n'est pas assez croustillante. Il t'en parlera les deux mois suivants !

 

Le collègue en vacances qui vient faire ses courses

Tongs aux pieds et teint hâlé, le collègue en vacances prend un malin plaisir à narguer ses collègues au taf. Prenant un air de "j'm en branle, chui en vac'", il va venir chatter avec toi qui a une masse de taf en te racontant comment son fils Dylan sait maintenant faire du vélo, qu'il a terminé deuxième du tournoi de pétanque et que l'autoroute pour aller à Lyon était "putain de blindée". Toi qui bosse, tu le regardes, tu souris, tu t'en fous et tu penses surtout à la tête qu'il fera quand il verra le massacre que l'intérimaire qu'il remplace à laissé dans son rayon.

 

Y'a encore des milliers d'anecdotes marrantes à raconter. Si cela vous dit, j'écrirai un article complet à ce sujet.

VOILA L'ÉTÉ !

Petite parenthèse estivale. J'aimais beaucoup l'été en grande distribution parce que l'atmosphère y est plus calme, les clients moins nombreux, les chefs en vacances et surtout y'a plein de petites nouvelles qui viennent remplir les rayons durant les deux mois de l'été !

Fallait les voir, tous ces crèves la dalle qui bombaient le torse devant les petites intérimaires n'ayant jamais tiré une palette.

"Tu veux que je te range ta palette ?", "Fais pas attention aux gars ici, ce sont tous des queutards", "Tu fais quoi à la pause de 9h ?". La grande distribution est un bel univers de machos pas bien méchants. Au final, les couples sérieux y sont même très nombreux.

C'est plus efficace que meetic !  

 

L'été voit aussi son lot d'étudiants en tous genres qui viennent gagner quelques pépettes en remplissant les rayons. Blancs, minces, flippés, ce sont des proies faciles pour les vieux de la vieille qui prennent grand plaisir à les bizuter.

 

"He le pti ! Va chercher un seau de vapeur à la sécurité, c'est urgent !"  

Ni une ni deux, le petit va se rendre au poste de sécurité pour réclamer un seau de vapeur. Au courant du petit jeu, les gars de la sécu vont le faire voyager dans tout le magasin à la recherche du fameux seau de vapeur jusqu'à ce qu'une âme charitable lui explique la blague. Rouge et honteux, il subira les moqueries fraternelles de ses collègues d'un été en revenant dans le rayon. C'est pas bien méchant et ca lui apprend la vie.

Au final ?

Éreintantes, formatrices, drôles, dégoutantes... mes années en grande distribution ont été tout cela à la fois. J'espère que cet article rendra un petit hommage à ces milliers de travailleurs qui se cassent le dos pour remplir les rayons, tous les jours. Je leur tire mon chapeau surtout dans un contexte de guerre des prix, de pressions sur les coûts, et de développement de l'offre alimentaire en ligne (Amazon, je te hais). Surtout que nos amis Mulliez&Co n'ont jamais été aussi riches, ou que le big boss de Carrefour, maintenant en retraite recevra 500 000€ par an à vie... Je ne vais pas faire de politique ici, mais bon...

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Commentaires: 6
  • #1

    Isaure (jeudi, 24 août 2017 14:46)

    Super ton article lucas ! Tu dépeints joliment cet univers si particulier !

  • #2

    Valentin (jeudi, 24 août 2017 15:54)

    Tu oublies "La promo n'est pas la meme que sur le prospectus" ;)

  • #3

    La boide (jeudi, 24 août 2017 18:10)

    Ah ah ! Je suis en plein dedans ! C'est très bien illustré ! " un seul gerber pour 10 putin "

    Je pourrai te raconter comment ca se passe dans les pays de l'est pour enrichir !

  • #4

    Sophie (jeudi, 24 août 2017 20:37)

    Ça me rappelle les dossiers qu on faisait en Master !

  • #5

    julie (jeudi, 24 août 2017 22:06)

    Excellent :)

  • #6

    Benoit (vendredi, 25 août 2017 09:21)

    Je sens comme une légère nostalgie (mais sans regret), et le plaisir d'y repenser! Le monde de la grande distribution n'a pas beaucoup changé depuis tout ce temps! (Didier et GG sont toujours la ^^)